La rentrée des classes est-elle une action commerciale?

Ou ce que les objets classiques ont à nous dire...


Septembre, dernier mois de l'été. Ca sent bon les cahiers et le matériel neuf. Les objets classiques disait-on  naguère. Cherchant à illustrer le sujet incontournable de ce moment de l'année, je rechignais à dessiner un stylo aux côtés de quelques marqueurs devant un cartable posé négligemment sur une table. Toutes ces choses sont pourtant devenues le symbole naturel de la rentrée scolaire. Pour ma part, je crains qu'elles ne soient devenues bien plus qu'un symbole, tout comme elles sont évidemment bien autre chose qu'un moyen d'apprendre. 

En observatrice, passive je le confesse, des exigences matérielles imposées à mes enfants lorsqu'ils étaient écoliers, je me suis souvent demandé quel était devenu leur rôle réel. Car ni la qualité de l'enseignement ni même sa bonne organisation ne peuvent raisonnablement prétendre nécessiter les 150 chemises en plastiques annuellement imposées, ni même le nombre de fardes de taille et couleur multiples, ni certainement le nombre de couleurs que doivent avoir respectivement les crayons et feutres du plumier. Ce dernier pouvant, lui aussi, certaines années, devoir présenter des caractéristiques telles qu'un nouvel achat soit indispensable.

Je ne ressens aucune nostalgie pour la difficile et peu efficace frugalité des classes de nos grands-parents qui est aussi celle, malheureusement, de très nombreuses classes d'aujourd'hui en d'autres zones du monde. Par contre, la rentrée des classes conserve un goût amer pour moi qui ai eu la chance de suivre de près 5 enfants en âge d'apprendre à lire et calculer. Les listes de matériel à acquérir dès le début d'année me blessait comme le fait encore à présent leur souvenir. 

Ces listes s'apparentent davantage à l'expression décomplexée d'un désir enfantin à la veille du passage du Père Noël qu'à l'exposition rationnelle des outils d'apprentissage dont un enfant a raisonnablement besoin pour suivre et intégrer les propos de son enseignant.e. Ces listes n'en ont pas moins d'impact : elles font se presser les parents moins aisés vers des stocks de fortune constitués à la hâte par les services d'aide sociale. L'inadéquation entre ces propositions solidaires et les spécifications détaillées des écoles constitue chaque année, avant même le premier jour d'école, la première marque de distinction entre ceux qui ont les moyens et les autres. 

Peu importe me direz-vous puisque, de toutes façons, ces marques dénonciatrices du milieu dont on vient sont trop nombreuses pour pouvoir être tues longtemps. Elles surgiront au moment de décider de l'argent de poche lors d'une excursion, au moment de remplacer le pantalon usé dont le réglement de l'école interdit qu'il soit troué, et bien sûr au moment de payer 70 euro pour les photocopies qui, distribuées en nombre tout au long de l'année, évitent aux enfants d'apprendre l'écriture en la pratiquant.

Mais revenons à nos listes. Si elles posent de lourdes questions d'égalité entre les enfants et agitent dès le départ le spectre de l'exclusion sociale, elles sont également contestables sur le plan de l'éducation à l'écologie. J'ai la chance de vivre dans un pays dont l'institution scolaire ne remet pas en cause le changement climatique et mène régulièrement des actions pour sensibiliser les enfants à un comportement respectueux des gens et des choses. Mais les enfants humains sont intelligents. Ils ne peuvent se laisser convaincre s'ils n'observent pas une grande cohérence entre les discours et les actes des adultes. Se rendre à l'école à pied ou en vélo durant la semaine de la mobilité, c'est bien. Voir que tout le monde s'en moque le reste de l'année, ça trouble le message. 

De même, lorsque le programme prévoira d'informer la nouvelle génération sur l'intérêt pour elle de consommer autrement, il faudra vraiment songer à réviser la fameuse liste de rentrée si nous voulons être convaincants.

Bref, c'est face à ces considérations, souvent ressenties mais jusqu'ici jamais couchées sur le papier, que j'ai choisi d'illustrer la rentrée des classes par une personne qui, fébrile, gravit un escalier. Car c'est la mission première de l'école et elle est difficile pour les enfants comme pour leurs enseignant.e.s. Les uns et les autres méritent notre respect, méritent qu'on suspende notre souffle pour accompagner les points périlleux de cette ascension. Ils méritent sans aucun doute aussi nos applaudissements chaleureux une fois l'objectif atteint. Les uns comme les autres ont besoin que l'institution scolaire leur offre un environnement sain qui permette de grandir et qui valorise la tâche qui leur revient respectivement : apprendre et enseigner.

En attendant...

En attendant, trop souvent, pour les uns comme pour les autres, l'école devient tour à tour un bagne, une machine aveugle, un lieu de douleur, un lieu de solitude, un orchestre sans direction,... Là aussi, la systématicité a banni l'exercice du bon sens et de l'intelligence.

J'espère encore que nos éminences le comprennent sans attendre les futures évidences honteuses que ne manqueront pas de fournir les rapports PISA et sans s'endormir sur les lauriers à peine semés du Pacte d'excellence. Les missions de l'école requièrent de vrais moyens. Pallier le manque du nécessaire par une abondance d'objets accessoires n'aide pas. 

Les habituels reportages journalistiques de rentrée vont encore regorger d'accents naïfs autour de ce qu'il est convenu d'appeler "nos petites têtes blondes" et céder à la facilité du micro-trottoir. Non, chers media, je ne veux pas savoir si Mathieu trouvait le temps long en vacances ni si Lucie est ravie de retrouver ses copines. Quand je regarde tous ces petits converger vers le premier rang de leur année et tou.te.s ces enseignant.e.s reprendre le collier, je me demande seulement combien sortiront grandis et combien sortiront brisés.


La rentrée des classes est-elle une action commerciale?
Sophie 28 août 2024
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